…
la peau rouge tiraille après une journée à la mer
le corps est vidé malgré les siestes qui se sont succédées sur les fwet ensablées.
face à la chaleur de l’air aucune chance de survie sans le secours de la mer
de l’eau qui coule
du matin au soir
humidifie la peau et irrigue les artères
entre les deux rives reliées en trainées de carbone annuelles
le jeu des différences
des montagnes si arides qu’elles semblent désertiques d’un côté plus tellement blanches
mais encore vertes de l’autre
à l’aéroport de Tunis déjà la familiarité qui attendrit et irrite et le chaos habituel du tapis de bagages et sinon tout cela se ressemble comme toujours
*
suffocation à la table où les nœuds se serrent sous les amas de livres
les mots s’enchaînent et effleurent la gueule de bois
devenue si habituelle
qu’elle advient sans même boire
noyant
la matière sous un gris de brume
l’air est moite
le visage luisant comme celui d’un.e autre qu’on ne reconnait plus
la nesma
désespérément attendue
se refuse sans cesse
disparait dès qu’elle affleure
l’espoir de la voir assécher la sueur nourrit le manque d’elle
*
Immense bouffée d’air comme en sortant d’une promenade sous-marine. Ma poitrine tremble. Mon cœur bat si fort que je crois que je vais le vomir. Je n’ai pas la nausée pourtant. Seulement une angoisse oppressante et diffuse. Mon corps peine à la contenir. Les mécanismes du rêve ont failli ce soir. Encore. Le mirage de mon inconscient n’a pas suffi à me maintenir dans les limbes du sommeil.
Je ne sais pas si c’est un cauchemar immédiatement refoulé qui m’a réveillée ou si c’est une anxiété incoercible et irreprésentable qui a troué ma nuit. L’inconfort a en tout cas accouché d’une pensée tandis que mon myocarde tambourinant clouait mon dos au lit.
Pour survivre à l’entre-deux il me faut l’écrire
mais comment survivre à ce qu’on dira de ce que j’ai à dire ?
comment créer un espace où mon corps a sa place ?
je suis le funambule de Genet. en équilibre sur un filet de chair.
devant. le vide.
dessus. le vide.
dessous. dedans. partout. du vide.
ploc ploc ploc sur le clavier.
mot à mot.
sang à sang.
sens à sens.

je déplie replie retisse l’enfance. la mission. la religion. la Tunisie. la France. le lit. la mer. la classe. la chance. l’immigration. le sexe. les arts. la danse. les livres. le doute. l’alcool. l’adolescence. la masturbation. l’interdit. la fac. l’errance. le corps. l’arabe. l’enfer. l’abondance. l’administration. mes parents. le français. la jouissance. la dépression. mon arrière-grand-père. l’histoire. l’indépendance. la traitrise. le mensonge. les langues. l’errance. la haine de soi. la haine des autres. l’absence.
au monde. aux autres. à soi-même.
la pire des absences.
ça s’entrechoque en dedans moi. ça me travaille. ça m’obsède. je fume. je baise. j’écris. je dors. j’étudie. j’angoisse. je m’alcoolise. ça m’obsède. je danse. ça m’obsède. je parle. ça m’obsède. je cours. ça m’obsède. je m’esquinte le corps. ça m’obsède. je travaille sept ans le corps gisant sur un divan. ça m‘obsède.
ça se bat. s’ébat. m’écrase. inlassablement.
et je ne comprends rien.
j’ai plongé au fond
du gouffre de moi-même.
On perd le sens à force de se dire que l’histoire qu’on a apprise était fausse. Que la trahison était là. Le ver dans le fruit comme le titre d’une partie de ce commentaire de texte sur une scène de Lorenzaccio où Madame V. m’avait mis 19 en seconde.
Je veux croire qu’elle avait compris. Qu’elle m’avait vraiment vue. Moi entière. Mon vrai visage pas la chimère que je donnais à voir. Je veux croire qu’elle m’aurait sauvé si j’avais pu prendre la main qu’elle me tendait. Elle était la seule à avoir l’intuition qu’il m’aurait fallu autre chose. Que l’histoire établie dont je me farcissais la cervelle était une farce. Du bullshit.
