Réfléchir m’épuise. Pourtant mon psy m’a dit un jour que j’étais une virtuose de la pensée. C’était flatteur. Mais faux. Je suis virtuose de l’esquive. Je pense trop. Trop vite. Jamais à ce qui compte. Je me perds dans les méandres des détails les plus insignifiants. Ils deviennent catastrophes dans mon imaginaire apocalyptique. Ça va dans tous les sens.
Je ne sais pas penser. Il me faut écrire pour tenter de retenir quelque chose. Sinon ça s’effiloche. Ça s’effondre comme un château de carte. Cécile Coulon parlait un jour du conseil que lui avait donné Fred Vargas. Ne pas écrire pendant les phases préliminaires de la fiction parce que les bonnes idées survivraient d’elles-mêmes. Je suis de l’équipe plus commune de Joan Didion qui évoque dans The Year of Magical Thinking les bouts de papiers que son mari écrivain emportait partout pour ne pas perdre les pensées toujours prêtes à s’effilocher.
Mes idées survivent à peine à leur formulation. C’est comme si j’étais défoncé.e H24 et que mes pensées se perdaient dans les volutes de fumée. Qu’elles s’échappaient m’échappaient sans cesse. Sans retour possible. Traumatisées.
Mais avec l’écriture les mots et les idées s’entrechoquent. Ils deviennent quelque chose de neuf. Rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme. On disait tout le temps ça à mamie. Mais les règles de Lavoisier s’appliquent aussi à la poésie. À l’écriture. À la vie. Je ne sais pas ce que j’ai vécu. Je suis incapable d’en mesurer la portée. Car ma présence bornée par mes maigres connaissances et mon corps faillible est aveuglée. Je ne sais pas ce que j’ai vécu. Ni ce que j’en pense. Qui je suis. Qui j’étais. Qui je deviendrai. Si je deviendrais.
Les cellules se régénèrent tous les jours. Tous les jours le corps se défait se refait se défile avant de s’effondrer de redevenir humus en bas des oliviers.
En attendant mon corps mourant trace son fil.
Danse funambule sur les décombres quand sa mémoire cède.
