سليمة عطاء الله
allah est là dans mon nom de famille.
amalgamé à mon identité.
et pourtant je ne crois pas en lui.
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Avant de m’inscrire à ce concours mes parents ont passé des nuits à se demander si je continuerai à croire en leur dieu après être passée par l’école française.
Spoiler alert. Ça a raté.
Iels voulaient accomplir leur devoir de bons musulman.es et un.e bon.ne musulman.e fait des bon.nes musulman.es. C’est comme ça qu’on justifie que les femmes ne doivent pas épouser d’hommes venus d’autres religions. L’islam étant transmis par le père, une femme qui ferait du père de ses enfants un non-musulman s’exposerait et exposerait ses enfants aux enfers. Si vous êtes assignée femme votre nom et votre religion deviennent caduques. Vous êtes un four parlant, ce qui aurait pu être une prouesse extraordinaire si votre parole n’était pas à enterrer dès sa profération.
El hamdoulillah elladhi at3amana wasa9ana waja3alana moslimin. Ma mère tenait à ce qu’on dise ça avant de manger quand on était enfant. À ce qu’on remercie Dieu de nous avoir nourri.es et abreuvé.es et fait de nous des musulman.es. On reconnaissait le hasard de l’assignation à l’islam mais on remerciait Dieu quand même. De nous avoir placé.es nous, à l’inverse de la majorité de la population humaine, dans la catégorie des gens qui avaient une chance de prouver qu’iels méritaient le paradis. Insensé. Mais ce n’est pas le sujet.
Je disais donc que mes parents ne voulaient pas nous, non, se, destiner à l’enfer.
Or m’éduquer à la française présentait un risque pour mon âme
Amalgame.
Ma mère y connait un rayon en plombages. Elle passait son temps à en poser. En déposer dans son cabinet dentaire jusqu’à ce que les vapeurs de mercure l’empoisonnent. Résultent en un arrêt de travail qui a duré trois ans. Les labos connaissaient le danger mais les lobbys ne les ont pas laissé suffisamment communiquer sur la dangerosité des plombages. En tout cas ils ne l’avaient pas encore vraiment fait il y a une vingtaine d’année. C’est risqué le mercure. Raideur fourmillements atteinte neurologiques. C’est pété. Ça fait peur. Personne ne comprend rien. C’est ce qui est arrivé à ma mère. Personne n’a rien compris. Errance thérapeutique. Nuits sans sommeil. Crise mystique. C’est risqué d’amalgamer.
Pas d’amalgame dit-on à chaque attentat. Comme si le dire l’effaçait. Supprimait le temps d’antenne consacré aux idéologies nauséabondes. Mais on y croit dans un pays qui ne voit pas les couleurs. Où effacer le mot race de la constitution la lave de son racisme. À chaque fois qu’il y aura un attentat, que moi et chaque personne d’origine nord-africaine, identifié.es arabe en France, prierons pour que cette fois le désastre ne soit pas venu de là d’où l’on vient soi-même, qu’on regardera anxieusement les chaînes d’infos en continu, les feeds Twitter et les storys Instagram pour voir si nous sommes face à un terroriste radicalisé affilié à l’Etat Islamique ou à un.e déséquilibré.e, un pauvre petit blanc qui a perdu la boule. À chaque fois que je serai occupé.e à pleurer et à gérer ma propre anxiété face à des évènements si radicalement imprévisibles et traumatiques qu’ils m’ôtent toute envie de vivre, les regards de mes connaissances non-assigné.es musulman.es me donneront l’impression d’attendre de moi la petite phrase qui dit que je ne cautionne pas. Alors même que je croyais, encore, qu’on était pareil.les.
Le ver était dans le fruit. La carie trouait l’émail. Trouée dans l’amalgame. Mais je ne le savais pas. Mes parents ne le savaient pas. Iels ne savaient pas qu’iels mélangeaient tout. Comme tout le monde autour d’elleux.
Parce que tout. Tout était déjà aggloméré et compacté en un nœud insoluble.
revoilà la crise de 1923 où on avait refusé aux Tunisien.nes fraîchement naturalisé.es français.es d’être enterré.es dans des cimetières musulmans.
tout le monde adore amalgamer nationalité et religion.
comme mon collègue qui un jour en me voyant refuser le croissant qu’il m’offrait m’avait dit t’inquiète selima y a pas de porc là-dedans.
micro-agression.
En 1923 des émeutes avaient éclaté avec les naturalisations des Tunisien.nes. On refusait de devenir autre de se laisser assimiler envahir. On s’accrochait à cette religion censée représenter notre tunisianité. En même temps en Algérie, on n’offrait pas la naturalisation aux indigènes musulmans. Seulement aux Juifs. Aujourd’hui on ne dit pas de quelqu’un d’origine Tunisienne et de confession ou de tradition juive qu’iel est Tunisien.ne. On dit Juif Tunisien. C’est terriblement triste.
Il y avait donc. Il y a donc bien. Une obsession pour l’amalgame des deux côtés. Un rejet côté français. Un attachement désespéré côté tunisien. Et chez tous les terroristes. Les radicalisé.es. Les fachos en quête d’identité. Nœud gordien.
Attachement donc à cet islam prétendument pacificateur pourtant venu d’émeutes de viols de meurtres comme toutes les missions de prosélytisme. C’était il y a assez longtemps. Ça a assez bien marché. Pour qu’on apprenne à le croire nôtre. Qu’on oublie que l’islam a été imposé comme toutes les religions. En Tunisie les noyaux de haine contre lui se sont tus. Les Berbères n’existent presque plus. Décimé.es par des tribus venues de loin chevauchant leurs dromadaires en conquérants prêts à tuer pour répandre l’amour d’Allah. Parmi ces conquérants, mes ancêtres. Un arbre généalogique qui remonte au 1er siècle de l’hégire me connecte aux invasions, même au prophète auquel je ne crois pas.
Cette religion super-imposée est devenue partie intégrante de l’identité tunisienne. Dinouha el islam dit la constitution. Les résistant.es des années 20 étaient prêt.es à mourir pour préserver sa pureté. Mes révoltes intérieures ont jailli contre elle. Je refusais d’apprendre l’arabe. Le Coran qu’on récitait tous les matins dans la voiture qui nous emmenait à l’école française me couvrait de honte. Je n’y pense presque plus aujourd’hui à cette religion. La poésie est venue remplacer l’apaisement que m’apportait la répétition d’un texte appris par cœur. Aux sonorités qui bercent s’ajoutent les mots que je comprends. Like putting the movies in color a dit Ivy Queen dans LOUD, un podcast sur le reggaeton, en parlant de l’arrivée du rap en espagnol.
Arabe et Coran ne me représentaient pas. Ne m’appartenaient pas. Ne me servaient à rien. J’avais intériorisé le désir inconscient de mes parents de m’occidentaliser. Je croyais me dénaturer en apprenant l’arabe.
Je mange végétarien depuis trois ans. Je le précise souvent quand je refuse du jambon avec des gens qui ne me connaissent pas très bien. J’insiste sur mon athéisme. Ma haine de la religion. De toutes les religions. Je me trouve ridicule et je me fais de la peine. Je pense à cet ami qui me raconte devoir parfois travailler avec des client.es racistes. Il commande du porc à toutes les étapes de ses repas d’affaire pour leur montrer qu’il n’est pas ce genre d’arabe. Il fait des blagues et dit que s’appeler Mohamed et être honnête relève de l’oxymore. J’ai envie de le prendre dans mes bras.
Amalgame entre un pays et sa religion. Abrasion du conflit identitaire. Colonial. Historique. Culturel. Hégémonique. Sur ses seuls aspects religieux.
Comme mes parents j’amalgame identité et religion. j’oppose occidentalité et religion. j’associe laïcité progressiste et religiosité rétrograde. peut-être car pour moi c’était le plus flagrant. peut-être car c’est tout ce qu’on retient. qu’on voudrait qu’on retienne des millénaires qu’a vue la Tunisie. peut-être car c’est un pays dont la première ministre est actuellement une femme mais que les hommes y héritent encore deux fois plus que les femmes pour des raisons religieuses. peut-être que je joue le jeu des islamistes de mon pays et des fachos de celui qui ne m’a pas encore adoptæ. qui ne m’adoptera peut-être jamais. parce que ça prend de la place ces affaires. vous avez beau être athée ça vous bouffe la tête d’avoir pleuré des nuits entières parce que vous aviez peur de finir en enfer. névrose obsessionnelle généralisée disait Freud. ça ne touche pas que l’islam. il y a tous les TOC religieux dont on me parlait en amphi de psychologie ou cet épisode de Sex and the City où un mec prenait systématiquement une douche après avoir baisé à cause de son éducation chez les sœurs. et puis les anti-avortements texans. les pas-avant-le-mariage cathos. les prêtres pédophiles… l’oppression n’appartient pas qu’à l’islam. ce n’est pas parce que les croisades sont finies qu’on a le monopole de la violence.
