game over

12.09.22

Encore une fois je ne parviens pas à dormir. Je cherche des moyens de rester en France, de ne pas avoir à sans cesse à justifier ma présence. De devoir seulement réfléchir à payer mon loyer sans l’angoisse de dépasser les heures limitées du titre de séjour étudiant que je ne suis pas sûre d’obtenir ou la limite irréaliste des 2518€ attendus en premier salaire, impossible pour un.e diplômé.e de sciences humaines ou de lettres modernes. Je cherche et je vois les cases. Les cases de l’administration dans lesquelles je ne rentre pas. Je ne me retrouve dans aucune des catégories qu’elle demande. Je regarde les catégories proposées pour mon conjoint, étudiant et comédien en galère n’existe pas. Aux yeux de la loi, il est sans emploi, pas même inscrit à Pôle emploi. Parasite résonne en boucle dans ma tête. Je suis un parasite. Rien de plus. C’est comme ça que l’administration me voit. Mes livres ne servent à rien. Mes kilos de mots ne servent à rien. Ne changent pas tout en tout cas. Ma situation est d’une précarité sans nom et je regarde l’appartement, rangé de fond en comble pour bien commencer l’année en me disant peut-être que je n’aurais plus le droit d’y être après la rentrée. On ne m’a jamais proposé autant de projets. Je commence à faire carrière en poésie. J’ai un statut et je gagne un peu d’argent avec mes performances. Mais la joie de chaque nouvelle proposition est chassée presque instantanément par l’angoisse de la survivance, de l’autorisation à demeurer en France. Après 10 ans, comment pourrais-je faire sans avoir le droit d’y retourner quand je veux, si je redevenais tributaire des visas qu’on donne ou qu’on ne donne pas alors que je n’ai plus de vie là-bas. Là d’où on dit que je viens. Alors que je ne crois pas en venir. Je ne me sens plus y appartenir. Et puis même celleux qui ont toujours vécu en Tunisie veulent partir. Tout le monde veut partir. C’est un phénomène général, qui touche toutes les professions, un Arte  vient de sortir sur les médecins tunisiens qui font la traversée pour des salaires largement inférieurs à ceux que la Tunisie leur proposait. Tout le monde cherche des manières de le faire, les médecins choisissent les spécialités les plus demandées en France et en Europe, les économistes, les informaticiens acceptent des salaires dérisoires, les étudiants partent dès qu’ils terminent leurs études, et ceux qui ne peuvent prétendre à aucune case se jettent à la mer, sont prêts à être mangés par les poissons. Tu connaitrais pas une vieille qui veut un mec me demande une couturière rencontrée quelques jours plus tôt ? Mon frère veut partir. Il s’en fout.

Alors je n’ai pas le luxe de me dire que j’ai ma place. Mon crâne rasé, ma non-binarité n’ont pas leur place. Il leur faut un ailleurs. Sans lui je ne peux pas exister en Tunisie, mais j’ai beau me creuser la cervelle, je ne trouve pas de cases dans lesquelles ma vie rentre aux yeux de l’administration. L’étau se resserre.