le mensonge

© Azza J.

Perpétuel grand écart pour essayer de faire sens de cet insensé. Pour essayer de comprendre si finalement c’est cool ou si c’est 7ram de baiser avant le mariage. de manger du porc. De boire de l’alcool. perpétuel grand écart. Mentir à la maison. Tout ça ne m’attire pas. Je n’ai pas été changé.e par l’expérience de l’école. Mentir à l’école. Je suis ok avec tout ça. Je ne culpabilise pas. Je ne suis pas rétrograde. Je doute de tout tout le temps.

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Je ne sais pas quand j’ai commencé à mentir. Enfant je cachais ma douleur et mes larmes. Même pas mal. Mais c’est devenu vraiment pathologique. Moi et moi ne se rejoignaient pas. S’éloignaient irrémédiablement en creusant le gouffre entamé par le ver.

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j’avais embrassé des dizaines de garçons. j’adorais la bière. ce n’était pas mon premier shot. mon premier baiser. je n’étais pas attirée par les femmes. juste Angelina Jolie. elle est tellement sexy. ce n’était pas la première fois que je voyais une bite. ce n’était pas la première fois qu’un homme voyait mon corps nu.

je ne fumais pas. je ne buvais pas. je n’avais pas de copain. je ne m’intéressais pas à ça. je croyais en Dieu. je ne me masturbais pas. seules mes études comptaient. je serai médecin. j’aurais des enfants. je me marierais.

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Je ne comprends pas pourquoi tu t’embrouilles autant avec ta mère alors que tu as de bonnes notes. Normalement tes parents te laissent tranquille quand tu as 16 de moyenne. Comment dire à ses potes que votre mère a vrillé d’une manière si inattendue que vous ne pouvez pas la partager ? Qu’en plus du voile qu’iels voyaient elle se levait tous les jours à 5h pour prier ? Qu’elle avait décidé qu’on apprendrait le coran en famille. Tout le coran. Et que c’était pour ça que je n’étais jamais dispo les mercredis après-midi pendant que mes amies se retrouvaient pour embrasser leurs mecs respectifs dans la maison des fleurs et voler une cannette de bière au père de l’une d’entre elles.

J’étais là parfois. On regardait des films pleins de cul et de male gaze et on partageait une Heineken à quatre ou six. Je faisais semblant d’avoir l’habitude. De ne pas découvrir et détester le goût amer de la bière dont je finirai des années plus tard par engloutir des pintes cul sec dans des bars miteux de Boulogne-Billancourt à côté de l’Institut de Psychologie de l’Université Paris Descartes.

Il y avait aussi les courses dans les rues de Mutuelleville après avoir fumé une ou deux clopes qu’on faisait tourner comme des joints. On achetait des bonbons et des chewing-gums. Prenait des élastiques pour s’attacher les cheveux et parfois un flacon de parfum. Quand on terminait les cigarettes achetées au détail chez l’épicier du coin on tapait un sprint les cheveux au vent pour chasser l’odeur de tabac. On se reniflait comme des chiens. Aspergeait nos mains de parfum et de gel hydro-alcoolique. Il y en avait toujours une ou deux dans le groupe qui ne fumait pas. Accompagnait nos frasques sans jamais y prendre part. Son nez devenait une arme nécessaire.

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Après avoir découvert une première fois que je fumais ma mère s’est mise à me sniffer quand je rentrais à la maison. Elle me sentait la peau les doigts. Ne me croyait plus quand je disais non.

Mes règles ont eu une semaine de retard. Est-ce que tu es enceinte ? Je ne sais plus quoi croire moi maintenant. Tu as trahi ma confiance.

J’ai quatorze ans. Personne ne m’a encore même embrassé à part lors de parties d’action-vérité. L’idée même que je puisse être enceinte est absurde. Plus violente qu’une gifle. Mes parents ne m’avaient encore jamais giflé.e. Ma mère a préféré directement essayer de m’étrangler dans mon studio amiénois quand elle a appris que je buvais.

J’avais quatorze ans. Je croyais encore qu’il me fallait rester vierge jusqu’au mariage. Mes masturbations avaient le goût de la culpabilité. Entendre des ami.es dire qu’elles attendaient leur première fois avec impatience me choquait. J’étais encore cette gamine à qui une amie disait qu’elle espérait avoir fait l’amour avant ses seize ans et qui lui demandait si elle n’avait pas peur de l’enfer.

J’ai commencé à exister entre ces deux mensonges. À mesurer ma vie selon deux grilles si éloignées que je ne savais plus ce que je voulais. Qui j’étais. Unité fendue entre deux rives.

A l’époque de l’école. Du lycée. Je ne comprenais rien à la violence de la rupture. À la déchirure de la continuité du temps. De l’espace. Des savoirs. Des habitudes. Qui avait jaillie de la rencontre forcée entre des cultures. De l’oppression qui continuait à se jouer des dizaines d’années après l’indépendance.

Je me trouvais pathétique. Incapable de la moindre empathie pour moi-même. Enfoncé.e dans des torrents de honte pour les règles que je transgressais. Pour la religiosité que je devais cacher.

Pute mécréante pour l’islam.

Prude bigote pour l’occident.

Dichotomie irréconciliable.

Ça bouffait toute mon énergie. Ça continue à bouffer l’énergie de beaucoup de mes ami.es qui ont presque trente ans et font semblant de ne pas être ce qu’on ne voudrait surtout pas qu’iels soient. Mènent des double-vies. Se disent schizophrène.

L’intersectionnalité est patente. Les mecs s’en sortent un peu mieux. Ils ont toujours une plus grande licence. Mais ça fait mal quand même. Ça fait mal parce qu’on sent qu’on pourrait faire autrement. Qu’il serait possible de créer du lien entre les deux rives. Entre les deux jeux de valeur. Que si on n’était pas écrasé dans une société au conformisme désespérant on pourrait négocier une voie confortable. Assumer ses choix et ses désirs. Pouvoir être tel.le qu’on sent au fond de soi qu’on est. Se fier à son instinct pour décider de ce qui nous convient. Si tant est qu’il reste de l’instinct quand on a autant oscillé.

Car ce qu’on perd surtout à force de naviguer entre les deux mythes c’est savoir ce qui nous va. Ne nous va pas. Ce qui est interdit ou autorisé. Valorisé ou condamné. La boussole devient folle. Saute d’un nord à l’autre sans jamais pouvoir se stabiliser. Incapable de s’arrêter sur un lieu sans souffrance. Sans compromis. Sans absence à soi-même.

On restera toujours rebeu.es des un.es français.es des autres. On se prendra une claque inattendue dans la gueule sous forme de croissant sans porc. De file d’attente. De refus d’appart. De quelqu’un en Tunisie qui vous traite de zmegri. Vous appelle Françoise dans l’amphi d’une fac à Tunis où vous lisez un livre pour passer le temps. C’est plus simple d’arrêter. De rentrer dans une case. Noire et musulmane c’est trop dit Maboula Soumahoro Ils peuvent pas comprendre.

la classe

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