je ne comprends rien

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je me sens de plus en plus comme l’enfant illégitime de la France qu’elle refuse de reconnaitre comme sien alors même qu’elle a présidé à son existence.

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comme mes parents j’amalgame identité et religion. j’oppose occidentalité et religion. j’associe laïcité progressiste et religiosité rétrograde. peut-être car pour moi c’était le plus flagrant. peut-être car c’est tout ce qu’on retient. qu’on voudrait qu’on retienne des millénaires qu’a vue la Tunisie. peut-être car c’est un pays dont la première ministre est actuellement une femme mais que les hommes y héritent encore deux fois plus que les femmes pour des raisons religieuses. peut-être que je joue le jeu des islamistes de mon pays et des fachos de celui qui ne m’a pas encore adoptæ. qui ne m’adoptera peut-être jamais. parce que ça prend de la place ces affaires. vous avez beau être athée ça vous bouffe la tête d’avoir pleuré des nuits entières parce que vous aviez peur de finir en enfer. névrose obsessionnelle généralisée disait Freud. ça ne touche pas que l’islam. il y a tous les TOC religieux dont on me parlait en amphi de psychologie clinique ou cet épisode de Sex and the City où un mec prenait systématiquement une douche après avoir baisé à cause de son éducation chez les sœurs. et puis les anti-avortements texans. les pas-avant-le-mariage cathos. les prêtres pédophiles… l’oppression n’appartient pas qu’à l’islam. ce n’est pas parce que les croisades sont finies qu’on a le monopole de la violence.

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je rentre bientôt chez moi. enfin en France d’où tout le monde ici croit que je viens. je ne me suis jamais autant senti.e appartenir que là. et pourtant toujours. ce n’est pas le cas.

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Sur le point de quitter Tunis comme toujours je ne sais pas ce qui me retient à Paris. La poésie y est plus florissante, à Tunis elle est nécessaire pour donner du sens à la vie chère et aux désillusions successives qui empêchent l’espoir.
Pourtant, il me semble impossible de rester. Le hameçon en bouche, son fil invisible m’attache à la rive qui m’a cueilli.e dès l’origine.

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Assis sur un balcon rue Oberkampf pétard et canette de bière à la main
Un corps tunisien qui vient de finir un cha9an fatr
Ou il a bu sa bière tandis que le traditionnel feuilleton-embrouille passait sur la télé
La distance se creuse a toujours été un trou
Né d’absence
Toujours prêt à se gonfler
Des eaux inattendues

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Après-coup. C’est le terme qui me vient en boucle tandis que j’essaie de sortir de la prostration dans laquelle j’ai plongé depuis la fin de mon semestre New-Yorkais. Ça avait même commencé avant. Tandis que j’essayais de terminer les finals. Je retrouvais le moi d’antan paralysé devant une feuille blanche jouant à Tetris et enchaînant les épisodes d’une série inintéressante. Numb the pain. Anesthésie. C’est un dispositif simple mais efficace auquel mon esprit recourt quand il doit faire face à un trop. Avec les années de vie et de psychanalyse la fréquence et la durée de ce mécanisme de défense avaient régressé. L’angoisse avait atteint des degrés raisonnables. Le travail ne me plongeait pas dans des abysses de doute. Mais avec les confinements successifs les habitudes et les mécanismes que j’avais mis en place pour contenir l’angoisse ont progressivement cédés. La perspective qu’un visa me soit refusé les a fait ressurgir comme un diable en boîte.

Je me réveille tous les jours toujours plus tard que prévu avec le désir de travailler. Et me couche chaque jour toujours plus tard que prévu en ayant avalé une quinzaine d’épisodes de Grey’s Anatomy sans avoir écrit une ligne, le pouce endolori menacé par la tendinite à force d’avoir fait coulisser des blocs pendant une dizaine d’heures sur l’écran de mon téléphone. Je ne me lève que pour manger et charger ordinateur et téléphone. Les cycles de charge suivent le même rythme que l’angoisse. Elle monte pendant des heures et je finis par ouvrir un fichier word sur lequel je dois me pencher. Je me convaincs que je vais y arriver. J’écris une ligne ou deux. Bute. Panique. Efface. Replonge dans le mélodrame médical où tout le monde excelle tandis que je me transforme en rien.

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Ça fait plus d’un mois de demi-vie. De mon lit dans la résidence étudiante des hauteurs du Bronx, à celui de l’auberge de jeunesse de Brooklyn où j’ai expérimenté les premiers symptômes de mon deuxième covid en moins d’un an, à celui de l’hôtel du Queens que j’ai dû prendre pour me confiner à 150 balles la nuit jusqu’à enfin rentrer au bercail, et continuer dans le lit parisien que je n’ai même plus l’impression d’avoir quitté. Au moins il est plus confortable.

Quelques évènements sociaux m’ont extirpé du vide. Nouvel an. Anniversaires. Le covid ne me fait plus peur. J’ai l’impression qu’il se fout de ma gueule. Je l’ai chopé une fois au travail, l’autre à la bibliothèque. Jamais en boîte de nuit. Faire la bonne élève est de moins en moins efficace. Ça nuit à ma santé. Le quadrant supérieur droit de mon abdomen peut en témoigner. Et ma hanche rapiécée. Et ma gorge qui pique. Mon tendon d’Achille s’est réellement déchiré. Même mon anus a été chirurgicalement reconstitué.

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Des instants de surexcitation m’ont valu une coupe de cheveux hasardeuse effectuée avec mes doigts tâtonnants au décours de mon confinement new-yorkais. Enhardie par ma réussite relative je l’ai complétée avec une décoloration qui m’a valu d’avoir une mèche d’un orange répugnant pendant plusieurs jours. 150 € plus tard ma frange a la bonne couleur mais file entre mes doigts chaque fois que je le lave. Chimiothérapie psychique. Alors je me lave moins souvent. Incurie justifiée par mes cheveux sensibilisés.

Boule de nerf sans jouissance j’ai remplacé la fumée des pétards par les épisodes qui s’enchaînent en brume de jours sans fin.

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Le Vocabulaire de Laplanche et Pontalis bible dont j’aurais dû me gorger durant mes études de psychologie définit l’après-coup comme suit :

« Terme fréquemment employé par Freud en relation avec sa conception de la temporalité et de la causalité psychiques : des expériences, des impressions, des traces mnésiques sont remaniées ultérieurement en fonction d’expériences nouvelles, de l’accès à un autre degré de développement. Elles peuvent alors se voir conférer, en même temps qu’un nouveau sens, une efficacité psychique ».

Laplanche & Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse

Ça permet d’inscrire un trauma me disent mes relents de cours. Ça tourne en boucle et ça actualise. Est-ce qu’un refus de visa peut avoir valeur traumatique. Ce n’est rien pourtant. Rien qu’un voyage touristique auquel j’ai dû renoncer. Rationnellement il ne s’est rien passé de grave. Et pourtant depuis le jour où j’ai commencé à douter de l’obtention du visa toute l’angoisse enterrée sous des mécanismes de défense plus ou moins pathologiques a décidé de réapparaitre. À nouveau je n’entendais plus mon réveil. Restais paralysæ des heures devant un travail dont je suis parfaitement capable. Doutais de tout. Fumais sans cesse ronde de clopes et de pétards. Fumer émietter rouler ne surtout pas se réveiller. Ne surtout surtout pas penser. Throwback à mes premières années fac.